''Comment parler aux îliens''. C’était le thème de l’édition 2020 du Hetsika Virtual Winds, une résidence digitale via Instagram initiée par le centre culturel indépendant La Teinturerie à Madagascar, en collaboration avec Africa Nosy Art Exchange. La mauricienne Kim Yip Tong (Lire notre article: Morisyen san Frontyer et les belles couleurs du clip 'Pa Koste') est la curatrice du projet. L’artiste a pour l’occasion réuni le mauricien Guimero (Dreamers La Garden Party 2) et les artistes malgaches Maherisoa et i030, sélectionnés à travers un appel à candidature à Madagascar. Kim Yip Tong nous parle de ce beau projet qui s’est déroulé du 4 au 24 mai dernier, pensé comme un dialogue entre les artistes de la région et une rencontre, cette année, entre l’île Maurice et Madagascar. Après huit ans d’études entre Paris et Londres, cela fait maintenant trois ans que Kim Yip Tong a décidé de retourner à Maurice, l’île qui hante chacun de ses travaux. ''L’île Maurice était toujours au cœur de tous mes projets, que ce soit sa musique et son histoire (Konser Leker), ses forêts (Ebony), le récif corallien (Anthozoa) ou son ciel étoilé de plus en plus rare (Lucent Matter).'' Depuis son retour, son parcours d’artiste se construit à travers ses rencontres et ses collaborations. D’abord avec Avneesh d’electrocaïne avec qui elle réalise une installation pour Porlwi by Nature (Flower Whisper / Lire notre article: ''Ces esprits qui hantent l'hôpital militaire'') et crée aussi des visuels pour le label Babani dont elle fait partie. Elle participera également à plusieurs expositions de peinture (13, Borderlines, Organik, Homegrown…) ainsi que des live-painting (Zapero, La Isla 2068). En 2019, elle collabore pendant plus de six mois avec Emilien Jubeau pour la cérémonie d’Ouverture des Jeux des Iles en tant que directrice artistique de la partie création digitale. Au fil de ces nombreuses collaborations, Kim Yip Tong tisse un lien étroit avec la scène artistique de la grande île notamment avec le collectif d’artistes derrière La Teinturerie. Tout commence en 2018 lors de sa première résidence à Antanarivo. ''J’avais répondu à un appel à résidence financé lui aussi par Pro Helvetia et je suis partie passer un mois à Tana. Le résultat a été le court métrage d’animation collaboratif 'TANY MENA', sélectionné au festival d’animation d’Annecy. Un succès bien au-delà de ce dont j’aurais pu rêver. Ce mois à La Teinturerie a été incroyable et m’a permis de créer des liens d’amitié avec les artistes locaux'', nous partage Kim Yip Tong. En octobre 2019, le collectif invite l’artiste mauricienne à participer à leur événement annuel, Le Festival d’Art Urbain. ''Chaque année ils partent en résidence dans un endroit différent de Madagascar et créent tous ensemble pendant deux semaines! Quand j’y suis allée on est parti à Antsirabe, il y avait des artistes de Zambie, de Suisse, d’Afrique du Sud et bien sûr de Madagascar. A chaque fois j’ai été tellement bien accueillie que j’ai voulu trouver un moyen d’emmener les artistes malgaches à Maurice.'' Cette année l’occasion se présente quand La Teinturerie fait de nouveau appel à Kim Yip Tong pour être la curatrice de l’édition 2020 de Hetsika Virtual Winds ('hetsika' signifie 'mouvement' en malgache). Un échange digital entre Maurice et Madagascar qu’elle espère n’être qu’un début. ''Le rôle de curatrice est quelque chose de nouveau pour moi. Il fallait que je choisisse l’artiste, le thème et que je crée l’identité visuelle de Hetsika Virtual Winds 2020. J’ai tout de suite pensé à Guimero comme artiste digitale et j’ai commencé à imaginer un thème en ayant en tête son univers décalé. Je ne savais pas trop comment approcher le projet, puis mon imagination a commencé à voyager avec cette histoire d’îles et de planètes et j’ai créé ces collages digitaux totalement psychédéliques pour accompagner le projet.'' La démarche de Kim Yip Tong à travers Hetsika Virtual Winds? Explorer les relations qu’entretiennent les îles de l’océan Indien entre elles. ''Malgré notre proximité géographique et notre histoire commune nous sommes en réalité séparés par la mer et on ne se connaît pratiquement pas. On est comme des planètes d’une même galaxie, à la fois proches et inconnues les unes des autres. J’ai donc voulu jouer sur cette analogie entre les îles et les planètes. Mais aussi les artistes et les aliens car les artistes sont souvent décrits comme étant ''dans leur monde''.'‘ Le but? Faire connaitre les artistes et leur univers ainsi que leurs îles d’origine.'' Les artistes devaient communiquer entre eux comme s’ils étaient des explorateurs qui se rencontrent pour la première fois. Ils avaient pour consigne de poster des œuvres présentant un aspect de leur pays ou d’eux-mêmes tout en posant une question à laquelle l’autre devait répondre. S’en est suivi un jeu de question - réponse que j’ai trouvé passionnant!'' Pour Kim Yip Tong, la résidence Hetsika Virtual Winds aura permis de prolonger un échange important entre Maurice et Madagascar mais aussi de raviver l’histoire de notre région. Un travail déjà amorcé par nombre d’acteurs culturels. On pense notamment récemment à la pièce 'Niama' de Shenaz Patel ou encore le projet Blakaz de Loya (Lire notre article: ''Loya, le nouvel explorateur des musiques de l'océan indien''). ''Il y a aussi June Balthazar, une réalisatrice française d’origine mauricienne qui a réalisé un court métrage magnifique sur la question de la créolité, mais je pense qu’il reste un long chemin à parcourir pour que nous apprenions à mieux nous connaître! Certains thèmes abordés pendant la résidence mériteraient à mon sens d’être développés dans le futur, comme la question des différentes légendes locales ou celle sur les héros esclaves libres et esclaves marrons. Dans cette résidence ont été mentionnés Kaya, le géant Rapeto, le rebel Massava et le prince Ratsitatane. i030 a également mentionné qu’il existe au moins 18 tribus à Madagascar ayant chacune leurs propres héros et légendes. Ces histoires nourrissent l’imaginaire collectif d’une société et sont un élément important de son identité. A Maurice on connaît très mal notre propre histoire et les différents héros et légendes sont presque oubliés.'' Hetsika Virtual Winds permet donc de faire resurgir ces histoires et légendes qui forgent notre identité. Pour l’artiste, ce dialogue est d’autant plus efficace qu’il se rattache à Madagascar, ''l’île mère de l’océan Indien''. ''Je pense que pour un mauricien, aller à Madagascar devrait être comme un pèlerinage sur la terre de nos origines, peu importe qu’on soit de descendance africaine ou non. C’est un lieu qui nous met face à nos certitudes et donne un contexte à notre histoire. La majorité des échanges entre les deux pays sont actuellement commerciaux, on est un peu les colons contemporains, il y a plein d’industries mauriciennes qui se sont localisées à Madagascar dont les usines textiles qui polluent les rizières et les voies d’eau à Antsirabe. Je ne suis pas historienne, ni économiste ou biologiste, mais j’observe et je me pose des questions sur le monde dans lequel on vit et c’est ça pour moi le rôle de l’artiste dans la société, d’où l’importance de ces échanges qui permettent d’offrir un regard sensible et alternatif sur la réalité.'' Visitez la page Instagram de la résidence
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