Livre | Jeunesse / Publié le 08 Avril 2015
Echos poétiques de la Havane à La Isla Social Club

Par Khal Torabully. Pour ma Lettre en Archipel inaugurale, je propose donc six textes, deux déjà publiés et quatre autres nés de l’aventure archipélique que j’inaugure au lancement de La Isla Social Club.

Les deux textes qui suivent sont extraits de mon carnet de voyage cubain, Roulis sur le Malecon, écrit en 1999. A Cuba, j’ai vu une île créative et un peuple digne, un écho salutaire à mon île autre. Marchant dans les rues de la Havane, entre réflexions sur la révolution castriste, le Che et la découverte des façades lépreuses du Malecon, j’ai saisi des instantanés de la vie dans cette ville figée par le temps, devenue un musée vivant des Caraïbes. Cette écriture se caractérise donc par la marche et le rythme de la rencontre poétique.

I

La vieille havanaise sourit à un autre sourire.

Le tournesol dans la boîte en fer blanc est parti au pays du soleil immobile. 

Madame la Havane s’accroche aux ombres, mêle ses prières aux fumées d’encens invisibles. 

Son chapelet de grains secs est un perpétuel cri d’amour.

Le beau flibustier qui mourait.

Le jaune soleil qui brûlait.

La façade andalouse qui riait.

Rien n’était en larmes. La nuit était si transparente qu’on aurait pu la casser d’une simple pression des doigts. Et puis, nous croyons à la pluie synonyme de fleurs nouvelles : elle partage nos paumes généreuses.

Le balcon qui fut,

Le volet qui luit,

Le rideau qui frémit.

Les ombres refont sa généalogie des galets.


II

Madame la Havane est une lente transhumance de ruelles 

vers les places vides, aux avenues peuplées de courants d’air.

Elle surprend le soleil

quand elle se farde sur le vitrail d’un somptueux patio. La fontaine 

de multiples solitudes résonne à ses pas dans la pierre.

Madame la Havane dira

sa peine aux nuages nomades.

Longtemps j’aimais Cuba mais je ne le savais pas : 

le voyage confirme l’intuition de l’oiseau-migrateur.

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Les quatre textes suivants sont inédits.

LETTRES EN ARCHIPEL

I

Le corail dessine sa parole en flèches aiguisées.

Il les lance de plateau en plateau, il les épèle

En vertigineux atolls où l’île s’allie aux failles de l’azur.

Ainsi naît la blessure des planctons - en pays frêles.

Le poème migre entre les fêlures des limbes.

II

Le mot est enfin ancré au socle de la mer des Indes,

La langue navigue comme dernier refuge du réel.

La terre chancèle, pour mieux dire l’innommé.

L’île lit son nom, s’impose en corail matriciel. 

Elle relie nos racines semées en décombres des lagons.

III

L’île réfute sans cesse les faux nomades des caravelles.

Elle est lasse de s’immoler en vierge des géographies.

Elle n’est plus la rosée imperméable des continents.

Elle se nomme seule, en effaçant les vieilles cartographies.

IV

L’île se dirige résolument au large de nos cris. 

Elle résonne dans le brisant des lettres apatrides.

En lettres mouvantes ou en arabesques cicatricielles,

L’île se dessine aux rives d’impensables archipels.


© KT, 19 mars 2015

Khal Torabully

Khal Torabully - Lettres en Archipel

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